Photographe reporter
Mon métier de photographe a d'abord commencé comme reporter. Si vous cherchez un photographe pour une expédition, ou pour n'importe quelle raison qui pourrait m'envoyer à l'autre bout de la planète, je suis votre homme.
Après une première expérience de photographe pour une expédition à l'Everest, j'ai eu l'occasion de repartir plusieurs fois en reportage dans différentes régions du Népal, ainsi qu'au Tibet pour faire Katmandou Lhassa à VTT.
Il y a eu également la Chine, le Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda, etc., et avec MSF : le Niger et l'Éthiopie.
J'ai un faible pour les portraits. Pour les visages de ces gens que l'on croise et qui nous racontent tant, et si peu…
À chacun sa route, à chacun son destin.
Pèlerinage de Gishen Maryam en Éthiopie
Première étape, Dessie
Le monastère de Gishen Debre Kerbe est un des lieux les plus vénérés en Éthiopie.
L'aventure commence à Dessie, bourgade située à 2 500 m d'altitude et à huit heures de route au nord d'Addis-Abeba. C'est un carrefour d'où on peut monter vers Lalibela, ou plus loin encore vers le Soudan, alors que l'ouest mène au lac Tana, et que l'est dévale vers les plaines brûlantes et désertiques de la région d'Afar (150 m au-dessous du niveau de la mer), ponctué par Djibouti.
Dessie est donc une étape incontournable où tous les hôtels sont en ce moment surbookés en raison du pèlerinage. La ville a vraiment peu d'intérêt, je ne m'y attarde pas plus d'une nuit. Après une heure de route le lendemain, je traverse le bourg de Kutaber pour m'offrir ensuite deux bonnes heures de piste, l'œil émerveillé dans ce paysage surprenant. Il faut descendre jusqu'à 1500 m d'altitude, longer la rivière, puis remonter à 2 900 m, au pied de l'Amba, qui est à la fois tabulaire et très irrégulier. D'ailleurs, au terminus de la route, il faut encore compter vingt minutes de marche pour grimper les cent derniers mètres de dénivelé, pour avoir enfin accès au plateau sommital. Vaguement cruciforme, il a une longueur de 1800 m, ce qui a permis d'édifier quatre monastères ou églises orthodoxes : Saint-Gabriel, Saint-Michael, Sainte-Marie et surtout Gishen Debre Kerbe (construit au Ve siècle par le roi Kaled).
Au XIVe siècle en Éthiopie
Au XIVe siècle, sous le règne de l'empereur Dawit, un fragment de la "vraie croix" trouve refuge en Éthiopie. Pour accueillir cette inestimable relique, Zara Yaqob, fils de Dawit, choisit le plateau de l'Amba qui lui semble prédestiné par sa forme. L'humble fragment est enchâssé dans quatre coffrets concentriques de fer, de bronze, d'argent et d'or. Le tout est suspendu par des chaînes au fond d'un puits de vingt mètres de profondeur. Je n'ai bien entendu pas eu la permission d'aller vérifier ; le mythe et l'histoire ont tellement plus d'importance ! Avant tout, ce lieu a valeur de symbole.
Gishen Maryam
Le pèlerinage de Ghishen Maryam en Éthiopie a lieu tous les ans et s'étale principalement sur cinq jours. Ne me demandez pas la date du prochain, le calendrier éthiopien n'est pas le même que le nôtre. Presque huit ans l'en séparent, et les années ont treize mois. L'heure non plus n'est pas la même. À 7 h pour nous, il est 1 h pour eux… Certains rendez-vous prêtent à confusion ou malentendu. Confirmez bien dans quel système vous vous exprimez.
En route pour le pèlerinage
Retour aux particularités de la route. Je quitte ce fond de vallée que 17 km séparent de Gishen Maryam, cul-de-sac de cette piste, situé 1400 m plus haut. Les bus chargés s'épuisent à y monter. Pour eux, s'arrêter dans un passage raide, c'est prendre le risque de ne plus repartir. A défaut de frein à main, certains bus trimballent un aide, toujours prêt à descendre pour mettre d'urgence la cale sous une roue, et une fois le bus reparti, récupérer la cale, courir et sauter en marche dans ce car qui mélange poussière et gaz d'échappement : il doit y avoir du suspense parmi les passagers…
Des kilomètres de bus
Il me faudra environ 1h30 pour faire les sept derniers kilomètres, sept kilomètres d'autocars garés à la queue leu-leu sur le côté. Une fois engagé dans cette galère, impossible de faire demi-tour ! Pour que la route redevienne libre dans les deux sens, il faudra attendre la fin du pèlerinage et la purge du parking d'en haut. Dans l'immédiat, il n'y a plus qu'une seule voie pour ceux qui descendent et ceux qui osent encore monter, c'est-à-dire les 4x4. En ce qui me concerne, j'ai honte d'être assis confortablement dans une voiture qui avale la côte sans broncher, alors que s'y éreintent des pèlerins chargés, des vieillards et des femmes avec leur enfant sur le dos.
Des raccourcis scabreux
Arrivé au parking, je cherche à monter sur le plateau. Mais sur les cent mètres de dénivelé qui doivent me dégourdir les jambes, les chemins sont complètement saturés de pèlerins. Tout est bloqué, on ne peut plus avancer. Certains prennent des raccourcis qui ressemblent à une via ferrata sans aucune assurance. Ici pas de SAMU, pas d'hélicoptère. Tu tombes, t'es mort !
Sentiers trop étroits pour tant de monde
Les sentiers sont trop étroits pour un tel déferlement de personnes. L'armée et des agents d'ordre essaient de canaliser la foule, de la fragmenter en lots de cinquante personnes sur ce sentier raide et parfois glissant, où mieux vaut ne pas être bousculé ! J'entends souvent le mot "farenji" autour de moi. Farenji, c'est le Blanc, l'étranger. En fait, ce mot vient de l'anglais foreign. Bizarre, pour un pays qui n'a jamais été colonisé, juste occupé pendant quatre ans par les Italiens.
Au parking, il y a un nombre impressionnant de porteurs qui attendent qu'on ait besoin d'eux. Tout est bon à transporter là-haut : du fourrage pour les bêtes, des caisses de Coca ou de bière, du bois pour cuisiner, un groupe électrogène par-ci, des mâts en bois par-là, etc., et bien sûr les bagages des pèlerins aisés.
Le salaire du porteur
Deux birrs pour aller au centre du plateau, quarante minutes pour monter chargé, vingt minutes pour redescendre en courant, soit une heure aller-retour. Au bout de la journée, celui qui a eu la chance de trouver dix clients a gagné vingt birrs, soit environ 1,30 € ! 25 birrs, c'est une journée de salaire en ville pour dix à douze heures de travail. Mettez en parallèle ce revenu des moins qualifiés et le prix de quelques produits courants, comme un Coca (4 birrs), une bière (6,5 birrs), ou un litre de gasoil (9 birrs) et vous aurez une idée du niveau de vie du plus grand nombre, ici en Éthiopie.
Déambulation dans la nuit
Dix heures du soir. Il y a encore de l'animation, mais la plupart des pèlerins sont couchés, enroulés dans un drap au pied d'une des quatre églises. Pas une tête ne dépasse, on dirait des sacs posés par terre. Certains sont encore en prière, ou méditent. D'autres se réchauffent autour d'un feu. Trois jeunes m'accostent, on discute, et la question habituelle revient : "Quelle est ta religion ?" Pas de religion. Je ne suis ni catholique ni juif ni musulman ni hindou. Je ne sais pas, je ne connais pas la vérité. Ils essayent de me convaincre, je dois absolument lire la Bible, etc. Je m'en amuse. Ils insistent, me disent que leur religion est la première de toutes, et pour preuve, Lucy était orthodoxe. Lucy ? Ah oui ! Notre ancêtre australopithèque d'il y a 3,2 millions d'années, découvert en Éthiopie : comment aurait-elle pu ne pas être orthodoxe ? Ils m'apprennent aussi que la vraie croix repose dans le monastère de Debre Kerbe. Le fragment a pris des proportions à la hauteur de leur foi.
Je passe deux nuits à dormir par terre comme eux sans le moindre petit matelas, mais avec une différence de taille, un bon duvet pour supporter, à l'abri du vent, les dix à douze degrés que la nuit humide nous apporte. J'ai mal dormi, j'ai mal partout, je me demande ce que je fais là, et en même temps je sais que j'assiste à quelque chose d'incroyable. Bonheur, je trouverai pour les jours suivants un "lit de camp" en toile de bâche plastifiée. Lit de camp que j'aurais refusé avec dédain quelques jours plus tôt !
Entre 200 000 et 500 000 pèlerins
C'est le pèlerinage dans toute sa splendeur. 500 000 personnes d'après les autorités locales, 200 000 serait une estimation plus juste, si on regarde les réserves d'eau disponibles et le débit de la source, d'après l'IRC (International Rescue Committee) en charge d'approvisionner les pèlerins en eau potable.
L'eau est le problème majeur à gérer
Il y a des queues de cent cinquante mètres aux divers robinets éparpillés sur le plateau; l'IRC les a spécialement installés pour cette occasion. Il ne faudrait pas que cela s'éternise après le 1er octobre, car la source débite moins qu'on ne la consomme. Il y a aussi une "source sacrée". Alimentée par les eaux pluviales recueillies par le toit de l'église Sainte-Marie.
Eau sacrée
Il faut, bien sûr, ramener un peu de cette eau sacrée à la maison, pour la famille ou les amis restés en ville ou au village, ce qui fait le bonheur des vendeurs de bouteilles plastiques vides. Ici, on ne recycle par pour avoir bonne conscience, mais par nécessité.
L'important est d'être ou d'avoir été à Gishen Maryam
On se prosterne, on prie devant chaque église, certains vont rester là pendant des heures, d'autres vont se mettre les bras en croix juste le temps d'une photo… La foi pour les uns, l'apparence pour les autres. L'important c'est d'être ou d'avoir été à Gishen Maryam.
Depuis quatre jours, les pèlerins affluent, leur flot grossit de plus en plus. Tout devient plus étroit, la circulation plus difficile.
Les prêtres s'activent, les sermons se succèdent, un chant s'élève ici, une danse commence là-bas, le tout dans le flux continu de la foule. Sur laquelle, au milieu du jour, le soleil tape dur. Dans toutes les "ruelles" du plateau, il y a des commerçants ambulants (bondieuseries et autres) et aussi toute la misère du monde : lépreux, malades et handicapés divers, qui psalmodient "Gishen Maryam" "Gishen Maryam" "Gishen Maryam" en espérant l'offrande du pèlerin. Comment sont-ils arrivés là ?
Toute la misère du monde
Si l'on s'attarde, on a juste envie de pleurer. Mais où est Dieu ? Mon premier bonheur est d'avoir deux pieds, deux mains, deux yeux en bon état comme le reste. Quelle chance ! Ces îlots de souffrance sont un détail dans l'océan de cette manifestation qui ne peut laisser quiconque indifférent. Par moments, j'ai l'impression d'être figurant dans un film dont l'histoire se passe au Moyen Âge ou dans Ben-Hur.
L'injera, plat national
Pas un touriste, pas un hôtel. Juste des gargotes et restaurants locaux où l'on vous sert "l'injera" nationale à toutes les sauces, du matin au soir. L'injera, c'est une grande crêpe à la farine de tef (le tef ne pousse qu'en Éthiopie), que l'on sert principalement avec de la viande, sauf deux jours dans la semaine, décrétés végétariens. Je n'en suis pas "fan" du tout, j'ai même du mal à la digérer cette injera. Depuis une intoxication alimentaire le premier jour, j'ai l'estomac bruyant et capricieux. Est-ce la crêpe ou cette viande de chèvre qui me brasse ? Je sais bien que le problème vient de moi, de mon inadaptation, mes voisins en mangent et en remangent des quantités surprenantes plongeant la main dans ce plat commun qu'on partage. Et cette chèvre qui deux heures avant broutaient tranquillement son herbe... Elle est courte l'espérance de vie d'une chèvre éthiopienne, et une fois dans la marmite, sa viande n'en finit pas de rétrécir.
Les Gypaètes Barbus
À l'affût, les gypaètes barbus et les corbeaux épient, survolent et quadrillent tout le plateau dans l'espoir de récupérer quelque débris de chèvre ou de vache, mais les hommes ne leur laissent pas grand-chose ! Rien ne se perd ici, jusqu'à la peau de la chèvre qui continuera son voyage dans le paquetage d'un pèlerin.
Conseil pour la sieste
Bref, vous l'avez compris, ce pèlerinage est tout sauf gastronomique. En revanche, pour le plaisir de nos papilles, le café reste excellent. C'est même une cérémonie que de boire le café (buna) chez l'habitant, c'est une invitation à la pause, et la pause est une invitation à la sieste. Mais la sieste à l'abri du vent par cette chaleur, c'est une invitation faite aux mouches, et les mouches, c'est l'enfer ! Alors, il faut faire comme les pèlerins, qui s'enroulent dans un grand drap sans rien laisser dépasser. Et l'étranger les remercie de lui avoir appris la technique.
Toute l'Éthiopie se retrouve pour Gishen Maryam
Une grande part de ces pèlerins viennent d'Addis-Abeba, mais il en arrive de partout. Certains ont fait des jours de marche sur des sentiers parfois scabreux, coupés d'échelles de bois rivées à la falaise; il faut y grimper avec sa charge ou son bébé dans le dos. Je les ai suivis pendant quelques kilomètres, admiratif.
Je reviendrai pour Gishen Maryam
J'aurai vécu dix jours ici pour Gishen Maryam, étonné et songeur. Que l'on soit à Lhassa, à La Mecque, à Lourdes ou à Bénarès, la ferveur est la même. Il n'y a pas de doute dans le regard de ces pèlerins. Les habitants sont chaleureux et ce que j'ai vu de ce pays est extraordinaire. Je reviendrai en Éthiopie, je reviendrai à Gishen Maryam. Guillaume Ratel